La peinture est morte?

Depuis les années 60 et l’art conceptuel, nombreux ont enterré la peinture. Dans certaines écoles des Beaux Arts, on ne l’enseigne plus que marginalement. Pourtant, de jeunes artistes continuent de s’emparer de la peinture, revisitant les classiques que sont la peinture animalière, la vanité, la nature morte, et même la peinture d’histoire. Et si la peinture n’était pas morte ?



Pour cette exposition, nous avons réuni de jeunes peintres qui tous savent ce que désormais le marché, ou bien les institutions, attendent d'eux. Ils ont suivi un cursus classique, étudiant dans les facs d'arts plastiques, ou bien aux Beaux Arts, et aujourd'hui ils enseignent à leur tour. Ils sont donc particulièrement informés de ce qu'est la scène contemporaine de l'art, où dominent des artistes comme Jeff Koons, Damien Hirst, Takashi Murakami, Romero Britto, dont les œuvres se vendent à coup de millions de dollars.

Dans ce marché de l'art contemporain qui fait de l'oeuvre d'art un support de spéculation, il est difficile de décerner une tendance, si ce n'est le triomphe d'une synthèse entre le pop art d'Andy Warhol et la performance glamour et médiatique de Salvador Dali. Le triomphe de ces deux grands artistes du XX° siècle serait donc total...sans les talents de peintre et de mystificateur de Dali, et sans les talents de visionnaire et de précurseur d'Andy Warhol. Avec la constitution d'équipes réunissant jusqu'à plus d'une centaine d'assistants et de petites mains, les artistes les plus exposés renouent par ailleurs avec la tradition des ateliers, comme la peinture classique le connaissait.



Que vaudrait donc aujourd'hui ce qui fit l'histoire de la peinture classique, à savoir ce dialogue que chaque peintre entretenait avec ses prédécesseurs ? Quelle pertinence pour cette volonté de reprendre des figures classiques, des genres, et de les transformer, de se les approprier, comme le font les peintres depuis la renaissance ? Dans une période saturée d'images comme l'est notre début de XXI° siècle, quelle nécessité par ailleurs de créer de nouvelles images, pinceaux en main ?

Ces questions, les quatre peintres dont nous exposons les œuvres se les sont posées. Quand ils ont commencé à peindre, ils n'ont pas, bien entendu, ignoré tout ce qui allait à l'encontre de l'idée de peindre, dans une époque où les images circulent de façon instantanée. Une photo d'actualité chaude prise en n'importe quel point de la planète fait le tour du monde en moins d'une heure ! Pourquoi, dès lors, reprendre une image d'agence trouvée en ligne, et la transformer en peinture ? Qu'est-ce que l'acte de peindre apportera de plus à cette image, déjà forte, et à notre compréhension du monde ? La réponse apportée par les artistes que nous exposons va bien plus loin que l'hyperréalisme. Les images capturées et interprétées par ces artistes – qu'il s'agisse du portrait de Benoît XVI (Jérémie van Rompu), ou d'une explosion à Peshawar (Yvon Saillard), ou encore du portrait d'une « Suicide Girl » (Julie Laporte) – nous restituent certainement le pouvoir d'étonnement et de fascination des images. Le regard autre du peintre permet au spectateur d'aborder cette image comme une image unique, comme l'épiphanie que devrait être chaque image.

Enfin, le désir de s'attaquer aux genres canoniques de la peinture est la démarche la plus risquée que prennent les artistes que nous exposons. On sait le mouvement de révolte que les impressionnistes ont initié – qui a abouti à la peinture du XX° siècle. Et voilà que des artistes renouent avec la tradition du portrait, pour la faire exploser (Nicolas Souchet, Jérémie van Rompu), avec la tradition de la vanité (Julie Laporte), et même la tradition de la peinture d'histoire (Yvon Saillard).


Les quatre peintres que Les Mille Tiroirs exposent pendant ces quatre semaines ont pris des risques, ils le savaient. C'est maintenant au public de décider si le dialogue entamé par ces peintres avec la peinture est fécond. Si les questions qu'ils posent à l'image, l'image qui sature l'espace public aujourd'hui, sont pertinentes. Si enfin la peinture a encore quelque chose à dire à notre regard. 
 
- Julie Laporte enseigne le dessin pour un public universitaire à Bordeaux. Elle peint des vanités modernes, dans un style d'une grande précision, et avec souvent une touche d'humour, d'ironie.
- Jérémie van Rompu enseigne lui aussi, en atelier, la peinture de nu et de portrait. Il est très attentif aux images qui circulent sur le Net, aux images d'actualité, mais aussi au bestiaire traditionnel, qu'il traite avec un grand talent de coloriste
- Yvon Saillard enseigne à l'université de Toulouse le Mirail, en arts plastiques. Pour beaucoup de plus jeunes peintres, il a été un maître attentif et généreux. Lui aussi très sensible au flux des images d'actualité, il prend le pari de dialoguer avec des genres canoniques comme la peinture d'histoire, la nature morte - de dialoguer aussi avec les maîtres, Delacroix, Picasso, Kiefer.
- Nicolas Souchet enseigne lui aussi, et affiche une prédilection pour le dessin, qui reste premier dans sa démarche. Toujours à la recherche d'angles nouveaux, il prend ses modèles en contre-plongée, ou bien, dans des compositions fortes, enserre le visage de personnes dans des sacs plastiques, et nous entraîne dans une narration prenante.